TOM WOOD
THE PIERHEAD, L’EMBARCADÈRE
1978 – 2002
Life goes on day after day
Hearts torn in every way
So ferry ‘cross the Mersey
‘Cause this land’s the place I love
And here I’ll stay
People they rush everywhere
Each with their own secret care
So ferry ‘cross the Mersey
And always take me there
The place I love
Ferry ‘Cross the Mersey, Gerry and The Pacemakers
The Pierhead est l’exposition d’un photographe habitué des traversées. Il y aura d’abord celle, augurale, qu’il fait en 1955, âgé de quatre ans, alors que sa famille quitte l’Irlande natale pour s’installer en Angleterre ; suivront celles effectuées quotidiennement entre les deux rives du fleuve Mersey, entre son domicile et son lieu de travail, dans la ville où il s’est ancré, Liverpool.
Les images rassemblées ici ont été réalisées à l’embarcadère («The Pierhead») du Mersey et ses abords : quelques soixante-dix images inédites, dégagées d’un ensemble foisonnant d’images faites entre 1978 et 2002, glanées au fil des planches contact. L’unité de lieu et l’effet d’accumulation plaideraient pour un travail effectué sur le mode sériel, induisant, selon la définition contemporaine de la « série photographique », le recours à un protocole, une construction préméditée. Rapide coup d’oeil aux images : le registre est tout autre. Elles sont issues d’un flux d’allers et venues du photographe, de ces passants, voyageurs, parents, amants, travailleurs. Elles s’affichent bavardes, extraverties ; on pourrait même entendre certaines s’interpeller, d’un bout à l’autre du quai. Il n’y ait aucun cadre qui puisse contenir le mouvement dans lequel elles sont engagées. Les images oscillent entre la beauté singulière d’une photographie d’auteur et la familiarité bienheureuse d’une photo de famille, comme se balance cet appareil que Tom Wood promène autour de son cou.
« Photie man », le gars à l’appareil photo : c’est le surnom que les adolescents du voisinage donnent à cette grande silhouette flanquée d’un Rolleicord, arpentant les rues de Liverpool. Avant l’appareil, il y a eu les pinceaux, à Leicester Polythechnic où il étudie la peinture au début des années 1970. La photographie constitue en premier lieu un moyen de garder une trace de ses peintures, puis elle l’accompagne dans ses trajets urbains et Tom Wood se prend au jeu des visages et des situations. Il pratique un peu les mariages, puis rejoint l’équipe des photographes des camps de vacances Butlin : il revêt, comme Martin Parr à la même époque, le costume rayé de rigueur et chasse les « happy snaps », images de vacanciers baignant dans le bonheur de l’oisiveté. Devenu professeur de technique photographique à l’école d’art de Liverpool, il emprunte quotidiennement ferry et bus. Le « pierhead », à la fois embarcadère du ferry et terminal de lignes de bus, est le point de passage obligé, celui des correspondances, des rendez-vous, et de leur corollaire, l’attente. Du négatif carré du Rolleicord, il passe au 35 mm et son format 24×36. Il photographie, photographie encore, au point d’emprunter ferry et bus dans le seul but de photographier, faisant méticuleusement et à plusieurs reprises le trajet jusqu’au terminus pour immédiatement repartir dans le sens inverse. Parallèlement, il explore d’autres mondes à l’intérieur de la ville : le plus grand de ses night clubs, son marché, ou encore le quartier du stade. Toujours des frères, des soeurs, des amis, des amoureux, des grands-parents, se révèlent dans leurs relations à leurs pairs et leurs environnements.
Le corpus constitué ici autour du Pierhead nous raconte autant Tom Wood que sa ville. L’embarcadère semble tenir lieu de creuset, et les décennies qui nous séparent désormais de leurs moments de prises de vues accentuent encore cette sensation. Mersey vient de l’anglo-saxon Maéres-ēa, soit le fleuve frontière. Il délimite les frontières des comtés de Cheshire et du Lancashire, et se jette dans la mer d’Irlande. L’estuaire du Mersey dans lequel s’inscrit Liverpool a plusieurs visages : s’y côtoient zones résidentielles et balnéaires, chantiers navals, centre ville, docks. L’embarcadère, à travers ses promeneurs et ses travailleurs, ses jeunes et ses vieux, ses pauvres et ses moins pauvres, ses engins et ses bittes d’amarrage, les évoque tous. Avec les allers-retours du bac, est charriée la mémoire de la ville. Alors que Tom Wood réalisait ces images, Liverpool était successivement marqué par des émeutes raciales, des fermetures d’usines, des licenciements aux chantiers navals et au port, et sa population, à toutes les échelles, soumise à une violence sociale, économique et politique. Alors ce mouvement perpétuel, du photographe, de ces sujets, foulant sans cesse les rues, fait manifeste pour la vie. Tom Wood fait route avec eux et c’est sans conteste pour cela qu’il parvient à déployer ainsi, sans l’avoir prémédité, un si généreux album de famille. Quand les musiciens répondent aux événements en chansons, nourrissant là ce si prolixe Merseybeat (des Beatles, Gerry and the Pacemakers, Frankie Goes to Hollywood, the La’s, Pale Fountain jusqu’aux récents Wombats), le photographe, lui, nous sifflote des images aux mélodies tendres.
Si Tom Wood refuse nettement l’étiquette documentaire, c’est que faire document n’est pas son ambition première. Le temps et la patine échafauderont pour lui ce monument au Merseyside. L’écrivain récemment disparu John Berger écrivait en 2004 : «Tom Wood a pénétré, en tant qu’artiste, la nature sincère, populaire, souvent désarticulée mais profondément humaine des êtres peuplant la ville dans laquelle il a choisi d’habiter. Il a «protégé» un Merseyside, désormais éloquent, à jamais préservé.»
Son oeuvre, exposée internationalement, le place aux côtés des grands noms de la photographie britannique tels que Martin Parr et Chris Killip. Tom Wood vit aujourd’hui à Caerwys, Pays de Galles.
Autour de l'exposition
RENCONTRE
avec Tom Wood
le samedi 4 mars à 15h
ATELIER EN FAMILLE
le samedi 25 mars à 16h
PROJECTIONS
ciné-brunch, le dimanche 2 avril à 11h30
VISITES COMMENTÉES
les samedis 1er avril et 20 mai à 17h
RALLYE PHOTOGRAPHIQUE
avec Guidoline le dimanche 21 mai à 14h