Seba Kurtis, de la série Un foyer, 2014-15
Seba Kurtis, de la série Un foyer, 2014-15
Seba Kurtis, de la série 4 Nights, 2014
Lorenzo Vitturi, Red Cotisso, Green Pigment, Wood in Arìn, Caminantes, 2019
Seba Kurtis, de la série Thicker Than Water, 2012
Seba Kurtis, de la série Unclassified, 2011
Seba Kurtis, de la série Shoebox, 2008

SEBA KURTIS

J'HABITERAI MON NOM
IMMIGRATION FILES

du 12 septembre au 7 novembre 2015

Les bulletins d’information se succèdent et avec eux des vues aériennes de foules d’individus massés sur des embarcations à la dérive, invariablement indistincts et minuscules. Quelques points dans la mer, quelques chiffres dans un bilan statistique et la question du «migrant» serait cernée. Parcours, identité sont majoritairement gommés du traitement médiatique, tout comme les motivations de l’exilé se trouvent dissimulées derrière le flou du terme «migrant» : l’individu n’existerait que dans ce flux auquel il doit, bien malgré lui, s’agréger.

Avec cette première exposition personnelle de Seba Kurtis (1974) en France, à la fois rétrospective et fruit d’une résidence initiée par le Centre photographique – Pôle Image Haute-Normandie, il s’agit de regarder la migration autrement : pas de vue aérienne ici mais un face-à-face.
Artiste argentin, émigrant illégalement en 2001 avec père, mère, frère et sœur à la suite de la crise financière qui ravage le pays après la chute de la présidence de Carlos Menem, Seba Kurtis gagne l’Espagne, puis l’Angleterre, où, sa situation finalement régularisée, il entreprend d’étudier la photographie.
Présentant une sélection de ses séries emblématiques réalisées depuis 2008, l’exposition met en lumière un artiste dont l’histoire personnelle et les errances ont marqué la pratique photographique. Dans Shoebox (2008), il exhume des clichés d’albums de famille, relégués dans une boîte à chaussures, précieux souvenirs d’un pays et d’amis quittés, souvenirs qui ont littéralement « pris l’eau » au cours du périple. Tel un leitmotiv, l’eau, ou plutôt la mer et son ressac, traversent l’oeuvre : la mer, espace de tous les contraires, qui fait espérer et désespérer, qui rejoint et qui sépare, la mer qui trop souvent se confond avec la mort. De Drowned (réalisée en 2008), évoquant les Îles Canaries et la migration en provenance d’Afrique à 4 Nights (réalisée en 2014 sur la côte adriatique), en passant par Thicker Than Water (2012), la mer est partout.

À ces séries, s’adjoint un travail inédit (Un foyer), réalisé à l’occasion de la résidence de création de l’artiste sur le territoire normand, en Basse et Haute Normandie. Ce sont deux visages de la migration qui sont ici esquissés, au travers de deux environnements : un foyer, habité d’immigrés de longue date, et un camp, espace supposément de transit.
Immigration Files, ce titre générique sous lequel l’artiste rassemble toutes ses séries, donne à supposer qu’il adopterait une stratégie documentaire (files, soit «dossiers»). Pourtant, si document il y a, il n’est pas ici à entendre comme la transcription littérale du réel. Seba Kurtis, a contrario, flirte avec la fiction et embrasse une position esthétique. La forme ici révèle le fait que l’artiste souhaite commenter : des manipulations colorimétriques pour mimer les systèmes instaurés aux frontières visant à détecter toute présence humaine (méthode acoustique, rayons gamma), des immersions de négatifs dans l’eau salée pour évoquer la traversée des exilés, ou ici, des fragments de minerai de talc en référence à une information rapportant la dissimulation d’hommes dans des citernes de talc. L’image est chez Seba Kurtis un passager du temps auquel il fait subir des expériences similaires à celles vécues par l’exilé. Les visages s’en trouvent masqués, les silhouettes, effacées, à l’image des identités, souvent réfutées.

Dans Exil, le poète Saint-John Perse faisait dire à son exilé, répondant aux questionnaires du port : «J’habiterai mon nom», ou le soi comme dernier refuge, comme territoire, acquis et inaliénable.
Seba Kurtis, photographe, fait œuvre de l’expérience, la sienne et celle des individualités croisées lors de ses périples. Il pointe, par l’apposition de ces filtres colorées et autres subterfuges graphiques, l’oblitération de l’identité, et non loin de là, face à elle, la déshumanisation du regard en marche.

Autour de l'exposition

VERNISSAGE
Vendredi 11 septembre, à partir de 18h
En présence de Seba Kurtis

VISITES COMMENTÉES
Samedis 12 septembre (en présence de l’artiste) et 10 octobre, 16h

PROJECTION-RENCONTRE
Missing stories, par Laura Henno, 19h